Antoine de Saint Exupéry raconté

Saint-Exupéry l'épicurien

Saint-Exupéry, le bon vivant

Il y a une sorte de malentendu avec la personnalité de Saint-Exupéry. L’homme est volontiers dépeint comme tourmenté, ou au minimum complexe, et c’est vrai qu’on croit déceler dans de nombreuses photographies de l’écrivain une impression de mélancolie. Dans ses écrits, que ce soit son abondante correspondance ou ses œuvres, cette même impression de mélancolie, de tragique, à certains moments de noirceur, flotte de manière insistante. Et pourtant… Si au cours de sa courte vie Saint-Exupéry a connu à plusieurs reprises des moments difficiles où il balançait entre une inquiétude diffuse et une forme de désespoir, tous ceux qui l’ont côtoyé dressent de lui un portrait intime différent. Saint-Exupéry a constamment fait preuve de bonne humeur, d’une énergie vitale débordante et d’une joie de vivre quasi enfantine qui ont enchanté ses amis. J’ai parlé des photographies qui montrent son côté sombre, sur beaucoup d’autres se détachent au contraire son regard pétillant et son sourire malicieux. Pour le dire autrement, Saint-Ex aimait s’amuser et faire la fête, et il ne s’est pas privé de le faire !

Dans sa famille, avec son frère et ses trois sœurs, Antoine est déjà un peu le roi de la fête… à la manière des enfants bien sûr. Sa mère le surnomme d’ailleurs le Roi-Soleil ;il invente en permanence des jeux nouveaux auxquels tous se soumettent de bonne grâce. Elevé dans une atmosphère de liberté et de gaieté, il fait les quatre cents coups avec son frère François, au point que leur sœur les décrira plus tard, avec une grande tendresse, comme « insupportables » et « débordant de vivacité ». Cette joie de vivre un peu turbulente le suit lorsqu’il quitte le cocon familial. Pensionnaire en Suisse, à Fribourg, pendant la Première Guerre mondiale, puis à Paris, Saint-Exupéry ne s’implique pas outre mesure dans les études, mais il noue des amitiés solides avec une première bande de camarades. Il participe de bon cœur aux chahuts caractéristiques des années de lycée, n’hésitant pas à se jeter dans d’épiques batailles de bombes à eau et à semer le désordre dans les salles d’étude. Quelques années plus tard, appelé sous les drapeaux pour son service militaire, il raconte à sa mère : « J’ai de sympathiques camarades de chambrée. Grande bataille à coups de polochon et les coups de polochons, j’en donne plus que j’en reçois. »